Dans cet article, j’exposerai mon point de vue sur la communication gouvernementale du Togo, en tant que conseiller en communication institutionnelle et numérique. Au regard de certains récents événements au Togo, il m’appert important d’analyser les défis et erreurs de la stratégie de communication mise en place. Ce point de vue est évidemment extérieur et pourrait ne pas prendre en compte certaines réalités que seule la direction des communications du gouvernement togolais saurait expliquer.
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La communication gouvernementale est un pilier essentiel pour la transparence, la cohésion sociale et le développement d’une nation. Au Togo, la direction des communications, tant au sein du gouvernement que de la Présidence, fait face à des défis majeurs qui nécessitent une attention particulière, aussi bien de la part de l’équipe de communication que de la population.
Contextualisons le sujet
Entre avril et mai 2024, le Togo a connu des coupures d’électricité inquiétantes, des inondations et des coupures d’eau. Bien avant cela, le pays a connu une révision constitutionnelle assez surprenante défiant les lois juridiques et constitutionnelles les plus basiques. La politique sociale du pays manque de souffle, bien qu’il y ait, « selon les rapports » des avancées et l’espoir d’un avenir meilleur. Soit!
Commençons par les défis
- Manque de cohérence entre la communication de l’appareil gouvernemental et celle des ministres
- Les visuels
L’actuelle ministre déléguée auprès du Président de la République, chargée de l’Énergie et des Mines, Mila Aziable, avait publié sur son compte Twitter quelques extraits d’un communiqué de presse du 25 mai 2024, en lien avec les coupures d’électricité. Au-delà du fait que ce communiqué semblait, ma foi, fort creux (je pense que le service de communication aurait pu mieux préparer la ministre et l’article à publier), les visuels publiés sur le compte Twitter semblaient ne pas respecter la charte graphique du Gouvernement.
Une charte graphique est un document stratégique qui définit l’ensemble des règles et des lignes directrices visuelles pour la communication d’une organisation. Pour le service de communication d’un gouvernement, l’importance d’une charte graphique est fondamentale. Elle ne se limite pas à des aspects esthétiques, mais joue un rôle crucial dans l’identité visuelle, la cohérence, et l’efficacité de la communication gouvernementale. Dans la plupart des cas, on peut noter six intérêts et avantages majeurs d’une charte graphique : renforcer l’identité visuelle et institutionnelle, assurer la cohérence à travers tous les canaux de communication, améliorer l’efficacité de la communication, faciliter l’adoption et l’alignement interne, renforcer la confiance et la crédibilité, s’adapter aux évolutions numériques et technologiques.
Les tweets sur X ont été supprimés quelques minutes après leur publication et d’autres visuels ont été publiés.
On comprend que le social media manager ou le community manager (communément appelé « gestionnaire de communautés » au Québec) n’a pas respecté la Charte graphique du gouvernement togolais, ce qui pose trois problèmes :
Premier point : soit le social media manager (SSM) ou community manager (CM) n’a pas été assez briefé sur la charte graphique par la direction des communications, soit iel l’a été, mais ne l’a pas assimilé.
Second point : cette piètre façon de communiquer empiète sur l’identité visuelle et institutionnelle ainsi que la crédibilité de la ministre et du gouvernement par ricochet.
Troisième point : la ministre étant membre du parti politique Unir, parti majoritaire à l’Assemblée nationale et du Président de la République du Togo, on remarque que son compte institutionnel sur Twitter (X) fait la confusion des communications. Le bleu étant la couleur phare de la Charte de ce parti politique (on le voit clairement sur le site), ce ne fut pas surprenant de voir cette couleur prendre beaucoup de place dans le premier visuel violant ainsi les règles de la Charte du Gouvernement. Dans la logique de cette communication sur les coupures d’électricité, on aurait dû remarquer la présence importante de la couleur verte au lieu de celle bleue. Le ou la CM doit donc passer alternativement d’une casquette d’agent.e de communication purement politique (parti politique UNIR) à celle d’agent.e de communication purement institutionnelle (Gouvernement du Togo). Avouons que ce n’est pas aisé. Babadé, élayi.
2. Vidéo promotionnelle
Certaines vidéos publiées en 2024 sur le compte institutionnel de la ministre Mila Aziable (celle du 28 mai et celle du 3 juin) débutent avec une photo du Président de la République (PR) au mur. Soyons honnête, ce n’est ni professionnel ni sérieux. Vous imaginez, réaliser chaque vidéo d’une organisation en débutant par la photo du DG ?
On remarque tout de même une différence dans une vidéo du ministère du développement à la base du Togo.
- Manque de préparation des ministres ou du Président de la République (PR) pour des communications officielles
- Révision constitutionnelle
Depuis mars 2024, une rumeur s’était répandue au Togo comme une traînée de poudre: une révision constitutionnelle « surprise ». J’ai remarqué plusieurs sorties de plusieurs ministres défendant l’approche de cette révision. Pour la petite histoire, aucune consultation publique ni aucun referendum n’a eu lieu, ce qui bien évidemment a provoqué du remous dans la population. De mon point de vue, les différentes sorties des ministres étaient à la fois incohérentes et mal organisées. D’ailleurs, je me suis demandé pourquoi nous avions des sorties de ministres au lieu des députés qui, semblent-ils, votent les lois au Togo. Bref, soit!
Peut-être serait-ce en l’absence d’une équipe de communication de l’Assemblée Nationale ? (Suivez mon regard! Nous n’avons pas de budget pour cela, mais nous en avons pour des élections législatives avec distribution de tricots et de quelques billets…Enfin, bref, ne nous égarons point).
Par ailleurs, je trouve que toute la stratégie autour de la mise en place de cette révision constitutionnelle a été mal exécutée voire inexistante. Même si le gouvernement voulait faire passer cette révision par la force via les députés de l’Assemblée Nationale (puisque c’est ce qui a été fait finalement), il aurait été astucieux de conduire une campagne de sensibilisation sur le sujet en français ainsi qu’en 3 ou 4 langues locales du pays (si seulement le gouvernement togolais avait mis toute la hargne dans cette campagne de sensibilisation comme ce fut le cas pour la commande des masques de Covid afin d’être les premiers de la classe en Afrique de l’Ouest…Soit).
2. Visite du Président de la République en Corée du Sud
« Dans ma région, la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, je vis les conséquences désastreuses d’une jeunesse ou d’un jeune qui n’arrive pas à réfléchir avant d’agir, qui ne se maîtrise pas. » Ces propos ont été tenus par le Président de la République en début juin 2024. Vous pouvez visionner la vidéo pour vous faire une idée.
Je pars du principe que la préparation des politiques dans le cadre de leurs communications officielles, même si les personnalités peuvent improviser, est essentielle pour éviter des bourdes pareilles. Ces propos peuvent à la limite être considérés comme une insulte à toute la jeunesse de la sous-région, indépendamment du contexte dans lequel ils ont été tenus.
Tenez-vous bien! 24h après l’extrait de cette vidéo, une vidéo plus complète a été publiée sur Twitter. Il semblerait que toute la population togolaise aurait détourné les propos du PR (sauf les très proches du PR ainsi que son équipe et les membres sympathisants de son parti, cela va de soi qu’ils en sont exclus). On fait souvent passer la population togolaise pour celle « qui ne réfléchit pas assez ». Selon donc cette nouvelle vidéo, les propos tenus par le PR togolais doivent être circonscrits dans le contexte du terrorisme en lien avec l’enrôlement des jeunes. Du coup, il paraîtrait que les propos du PR doivent être nuancés, de même que le dédouanement du gouvernement togolais quant à la création d’un environnement propice pour les jeunes togolais (d’ailleurs, ce dernier point n’a même pas eu le mérite d’être mentionné dans les propos, ce qui me conforte dans ma remarque selon laquelle le PR aurait manqué de préparation). En gros, ce serait aux jeunes de faire attention.
Mais à qui incombe la nécessité de formation et d’une éducation de qualité pour les jeunes afin d’éviter à ces derniers des déviances ? Quelles sont les améliorations réalisées au profit des jeunes des Savanes au Togo ?
Il me semble qu’il appartient au gouvernement de faire de sorte que les conditions soient réunies pour que les jeunes aient l’environnement (emploi, entrepreneuriat, autosuffisance alimentaire etc) leur permettant d’éviter d’être enrôlés. Si je devais faire de ce sujet un point particulier, cela prendrait un rapport. Peut-être en ferais-je un article dans les semaines à venir.
En somme, il m’appert primordial de faire des recommandations ou suggestions à la direction des communications du gouvernement togolais et de la présidence togolaise :
- Développer une stratégie de communication en lien avec les demandes citoyennes
L’un des objectifs de la communication publique est d’engager le dialogue avec les citoyens. La communication gouvernementale est une communication publique. Mais, cet objectif de dialogue est-il inclus dans la démarche communicationnelle ? De mes observations, la réponse est négative. Comme le précisait l’enseignante togolaise Namoin Yao Baglo dans son analyse réflexive de 2018 publiée sur ResearchGate, « la demande citoyenne en matière d’informations est forte ». Et j’ajouterais qu’en 2024, avec les récents événements cités au début de l’article et ceux non mentionnés, la population a besoin d’être et de se sentir considérée dans les prises de décision gouvernementales et dans la manière dont les informations lui parviennent. Une communication de proximité peut permettre à cette population d’évaluer selon sa grille, les actions du gouvernement.
- Instaurer une communication interne sein du Gouvernement
Ce travail doit être conduit par la direction des communications du gouvernement (s’il en existe une). Voici quelques suggestions pour y arriver :
- Rencontrer chaque département ministériel qui fera véhiculer l’information
- Accueillir les nouvelles compétences en communication avec une réunion préparatoire de la Charte et du fonctionnement
- Rendre disponible des gabarits de visuels et de vidéo sur un intranet
- Avoir un groupe Teams ou Slack ou Discord de discussion professionnelle de toutes les compétences en communication du Gouvernement et de la Présidence avec des canaux de discussion spécifiques
- Organiser des mini-formations en communication faisant le lien avec la Charte graphique ou le fonctionnement du Gouvernement
- Organiser des formations sur la gestion de comptes institutionnels des ministres et des ministères
La différence doit être bien clarifiée. Le compte du ministère ne doit pas servir qu’à partager ou faire des retweets. Les ministères et ministres doivent être conscients que les comptes institutionnels ne sont pas des canaux de publication de citations philosophiques à outrance. Il y a sans doute un certain nombre de dossiers importants dont le contenu intéresserait la population. Celle-ci n’est pas si ignorante. Le peuple togolais est assez intelligent pour saisir les enjeux de différents dossiers. Il faut donc une stratégie de contenus définie par le ou la social media manager (SSM) en accord avec le service de cabinet du ou de la ministre.
- Mieux préparer les ministres lors de communications officielles
Je n’ai plus besoin de détailler ce point. La préparation des communications politiques officielles d’un ministre ou d’un Président de la République est une tâche stratégique qui nécessite une planification rigoureuse et une exécution minutieuse. Le but est de garantir que le message est clair, cohérent, et aligné avec les objectifs politiques et les attentes du public ou des populations. Nul besoin de détailler le processus, car il me paraît plutôt évident et simple. D’ailleurs, vu les différentes situations occurrentes, il faudrait une stratégie de communication de crise, s’il n’en existe pas encore.
- Structurer l’équipe de la direction des communications
Ma foi, les enjeux de la communication gouvernementale sont tels qu’il faudrait une structure des différentes équipes et compétences. Voici ma proposition :
- Conseillers en communication (volet stratégique)
- Spécialistes des médias (lien avec les médias principalement)
- Spécialiste des médias sociaux
- Analyste des données (il est important d’analyser les tendances de l’opinion publique et prendre le pouls de la population. Cela permet d’ajuster rapidement les communications publiques)
- Réaliser un diagnostic régulier pour une mise à jour de la stratégie de communication gouvernementale
Je suggérais plus haut une communication de proximité. Pour la réussite d’une telle initiative, il faut en premier lieu une enquête et analyse des besoins de la population togolaise en matière de communication.
Engager une firme togolaise ou africaine, partir sur un échantillon, développer un questionnaire simple et analyser ensuite les résultats pour mettre en place une stratégie adaptée à la cible.
D’ailleurs, ce type de processus manque au Togo. Nous déroulons une stratégie, ou plutôt nous mettons en place des stratégies pour identifier ce qui marche le mieux, et généralement ce sont des stratégies qui ne permettent pas de créer un dialogue avec la population. C’est donc un peu normal que cette population se sente exclue des processus, alors que le gouvernement est censé mettre en place des actions pour ladite population. Il y a bien quelque chose qui cloche dans les démarches. Au demeurant, à un moment donné, il m’appert important de prendre du recul, de réaliser un diagnostic communicationnel et développer ensuite une stratégie qui tient compte d’un certain nombre de paramètres.
Note : Cet article n’est en aucun cas une missive contre la direction des communications du gouvernement togolais. Il s’agit de propositions et de correctifs pouvant être introduits dans les différentes stratégies de communication existantes ou à venir.